Depuis l’annonce du quantitative easing de la Banque Centrale Européenne le 22 janvier 2015, les bonne nouvelles relatives venant des européens en matière de croissance semblent dissiper la crise de la monnaie unique. Cependant, un problème de fond reste d’actualité: l’hétérogénéité structurelle des pays de l’Eurozone.
La zone euro est loin d’être une Union Monétaire anodine. Elle dispose d’une multitude de pays souverains, indépendants, économiquement hétérogènes et affichant des niveaux et performances macroéconomiques différents. Leur mode de fonctionnement est différent et les cadres institutionnels sont différents. Pourtant, cet ensemble de pays dispose d’une banque centrale unique appliquant une politique monétaire unique en considérant une moyenne de cet ensemble hétérogène. Dès lors, un problème apparaît nettement, comment trouver le bon équilibre pour rendre la politique monétaire efficace pour des pays aussi différents que l’Allemagne et la Grèce? Une réponse s’impose: la convergence. En effet, nous nous doutons bien qu’avec des pays ayant des caractéristiques structurelles aussi différentes, la politique monétaire va se révéler être profitable à certains, les pays du Nord[1] et dommageable à d’autres, les pays du Sud[2]. D’autant plus que ces mêmes spécificités structurelles ont plutôt tendance à s’accentuer, surtout depuis la crise de 2007.
Plus particulièrement, nous pouvons relever plusieurs types d’hétérogénéités croissantes qui posent problèmes dans la transmission de la politique monétaire. Les hétérogénéités dans les spécialisations productives, sur les marchés du travail et dans les structures financières.
Les spécialisations productives d’abord, pour ne prendre que ces exemples, la valeur ajoutée, les capacités de production et l’emploi dans le secteur manufacturier ont largement divergés entre la zone Nord et la zone Sud. Cette dernière, se spécialisant dans les services, est peu soumise à la compétition internationale, alors que le Nord privilégiant le secteur secondaire, est de fait, plus sensible à la maitrise des coûts de production et à la compétitivité hors coût. Deux modèles ont alors naturellement émergé, le Nord, dense, compétitif, industriel, dépendant de l’extérieur face à la morosité économique de la zone. Le Sud, tertiaire, moins tourné vers la performance que par le bien-être social avec des systèmes sociaux plus généreux et davantage dépendant de sa propre consommation interne. Ainsi, de fait les taux de croissance naturel, les taux d’inflation, les soldes des balances commerciales, les besoins en investissement, etc. sont différents alors que, rappelons-le, la politique monétaire est unique.
Les structures financières jouent ensuite un rôle majeur dans la transmission de la politique monétaire. Cependant, là encore, des différences fondamentales existent entre les pays européens à commencer par les besoins en capitaux. Alors que les Etats du Nord étaient quasiment à l’équilibre budgétaire en 2014, les pays du Sud, subissant la montée des taux d’emprunt de plein fouet, font encore face à un déficit public proche de 4% de leur PIB cumulé. La structure bancaire même des pays est fondamentalement différente. En effet, selon l’intensité de la concurrence entre les banques, selon la taille des banques, selon l’importance du crédit bancaire par rapport aux autre sources de financement ou encore selon le fait que les emprunts privés soient plutôt à taux fixes ou variables, la force d’impact et le délai de transmission de la politique monétaire ne sera pas le même.
Enfin, les hétérogénéités sur les marchés du travail représentent également un point important dans le problème que nous avons identifié. C’est plus particulièrement dans la réaction des marchés du travail suite à un choc symétrique que l’importance revêt (que ce soit côté offre ou côté demande). En effet, les règles institutionnelles sur les marchés du travail, les degrés de protection et de flexibilité de l’emploi étant différents, la propagation d’un choc symétrique, commun aux pays, dans les économies respectives va être différente (impact sur le taux de chômage, les salaires, l’inflation, la consommation, l’investissement etc).
Finalement, deux issues possibles existent: la marche en arrière qui impliquerait une destruction de la zone euro afin que chaque pays puisse jouir d’une politique économique adaptée. Une marche en avant en progressant davantage dans l’intégration des pays européens en proposant une dose de fédéralisme budgétaire. Nous sommes plutôt favorables à la seconde option, pour refaire de la construction européenne, un projet d’avenir. Etant donné que certains sont de fait gagnants avec la politique monétaire (l’Allemagne, qui bénéficie d’un avantage comparatif eu égard à sa spécialisation productive et le niveau du taux de change) alors que d’autres souffrent de la seule existence de l’euro, il parait judicieux et honnête de réaliser des transferts budgétaires fédéraux. Il semble tout à fait juste que les pays qui bénéficient de l’existence de la zone euro réalisent des transferts vers ceux qui en souffrent. D’une part, cela permettrait non seulement de compenser cette différence de traitement, d’autre part de travailler dans le sens d’une convergence, à condition que les pays récepteurs allouent efficacement les sommes reçues. Dès lors, l’existence même du système des transferts pourrait n’être que temporaire, dès qu’un certain niveau de convergence serait atteint. Quant aux aspects monétaires, des solutions existent également, la Banque Centrale Européenne pourrait modifier son mode d’opération en introduisant davantage de maximisation du bien être par pays que du bien être moyen de la zone prise dans son ensemble. Ainsi, des solutions économiques existent, mais elles sont bien sûr conditionnées par la volonté et le courage politique…
[1] Sont considérés comme pays du Nord: l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Finlande et les Pays Bas
[2] Sont considérés comme pays du Sud: l’Espagne, la France, la Grèce, l’Italie et le Portugal