Suite à la crise récente, les questions relatives à la gestion des finances publiques et à la politique budgétaire de court terme au sein de la Zone-Euro sont revenues au cœur des débats. Avec la crise de la dette souveraine grecque débutant en 2011 et le risque de contagion à d’autres Etats membres, la priorité fut à la gestion en urgence des finances publiques pour les Etats les plus endettés.

A plus long terme, la Zone-Euro ne semble toujours pas avoir réglé de nombreuses questions relatives à la manière dont on gère la politique budgétaire en union monétaire. Tout du moins, aucun cap clair ne semble émerger des nombreux rendez-vous européens où les discussions étaient plus à la gestion en urgence de la crise des dettes souveraines qu’à l’établissement d’une vision de long-terme.

L’analyste peu optimiste pourrait prédire un statu quo quant à la gestion des finances publiques au niveau européen, cette dernière se cantonnant à un ordo-libéralisme matérialisé par un Pacte de Stabilité et de Croissance renforcé par les « two-packs » et « six-packs » adoptés en 2011 et 2012. Dans ce cadre décentralisé, une manière de tout de même améliorer l’efficacité des politiques budgétaires serait d’intensifier la coordination de ces politiques entre Etats membres.

La nécessité de coordonner les politiques budgétaires au sein de la Zone-Euro n’est pas à priori évidente : en quoi se coordonner entre Etats membres serait-il nécessairement plus efficace ? N’y a t-il pas déjà une coordination implicite puisque les cycles économiques nationaux tendent à converger notamment suite à la création de la Zone-Euro ?

Pour répondre à la première question, certaines études ont récemment montré les bienfaits de la coordination : des multiplicateurs budgétaires plus élevés (Fahri et Werning, 2012), une réponse moins forte en terme de plan de relance en l’absence de coordination et à long terme un niveau trop élevé de dépenses publiques (Devereux, 1991). De plus, nous savons qu’une politique budgétaire nationale a des effets de débordement sur ses économies voisines et qu’il s’agit de les prendre en compte afin de maximiser les effets de la politique budgétaire au niveau de l’union. Surtout, Barbier-Gauchard, Betti et Diana (2015) montrent que ces effets de débordement dépendent largement de la composition des plans de relance/plans d’austérité mis en place (hausse/baisse de quelles taxes, de quelles dépenses).

Pour la seconde question, une observation simple de l’évolution des économies de la Zone-Euro depuis le début de la crise indique clairement des évolutions très différentes de ces économies, des situations aujourd’hui fortement hétérogènes et des problèmes différents à surmonter pour relancer durablement la croissance.

Nous proposons dans cette note d’observer où en est la coordination des politiques budgétaires en revenant sur deux faits récents : la mise en place des plans de relance en 2009/2010 (European Economic Recovery Plan) et le récent plan Juncker visant à relancer l’investissement privé par l’investissement public.

L’EERP : Une (trop) faible coordination

La Commission Européenne propose le 26 Novembre 2008 l’EERP, d’un montant de 200 milliards d’euros soit 1,5% du PIB de l’Union Européenne. Le Conseil Européen approuve le plan de relance les 11 et 12 décembre. Le plan de relance fut donc adopté par les instances européennes, bien que derrière ce soit aux Etats membres de mettre en place ce plan de relance au niveau national. S’il n’y a aucune obligation stricte faite aux Etats membres quant au montant exact des plans de relance nationaux et leur composition, des recommandations ont été adressées par la BCE et la Commission Européenne, les « 3T » (timely,  temporary, targeted). Les politiques budgétaires expansionnistes se devaient d’être « timées » (c’est à dire déclenchées au bon moment, en privilégiant des instruments de dépenses et fiscaux rapides à mettre en place), temporaires (afin de ne pas provoquer de hausses à long-terme des niveaux de dette) et ciblées (utiliser les instruments budgétaires et fiscaux aux multiplicateurs les plus élevés).

Au regard de ces éléments, nous pourrions conclure que l’EERP a été adopté et mis en place avec un degré plutôt fort de coordination. Ce qui vient nuancer cette conclusion est l’apparente hétérogénéité lors de la mise en place concrète des plans de relance nationaux. L’hétérogénéité concerne à la fois l’ampleur de la relance mais également la composition des plans de relance. De plus, la majorité des Etats membres a au final dépassé le montant du plan de relance annoncé initialement. On peut déplorer ici le manque de coordination lors de la mise en place concrète des politiques budgétaires expansionnistes nationales.

Si l’EERP fut à la base adopté au niveau européen et que des recommandations furent adressées également au niveau supranational, dans sa réalisation concrète, les plans de relance nationaux ont été mis en place très librement et sans coordination entre Etats membres, ce qui aurait pu permettre dans le cas contraire d’augmenter l’efficacité du plan de relance au niveau de l’Union Européenne dans son ensemble.

Le Fond Européen pour les Investissements Stratégiques (FEIS)

Le plan Juncker qui a conduit à la création du FEIS a été adopté par le Conseil Ecofin du 17 février 2015 suite à plusieurs étapes de négociation. De même que pour l’EERP, le plan Juncker a été adopté au niveau européen. Bien que les différents médias aient souvent relayé le chiffre de 315 milliards, il s’agit en réalité d’une dépense nette de 21 milliards. L’idée est que le financement de projets privés à hauteur de 21 milliards, s’appuyant sur un effet de levier de 15, devrait augmenter l’investissement total en Europe d’un montant total de 315 milliards.

Afin de juger du caractère coordonné de cette relance par l’investissement, il convient de traiter tout d’abord de son financement. Sur un total de 21 milliards d’euros, 15 milliards sont garantis par l’Union Européenne : notamment grâce au budget de Mécanisme pour l’Interconnexion eu Europe (8 milliards), le programme Horizon 2020 (2,7 milliards) ainsi que 2 milliards assurés par des marges budgétaires du budget européen. En outre, l’organe financier de l’UE, la Banque Européenne d’Investissement (BEI), lèvera 5 milliards de financements. La majorité du financement est donc assurée par des instances européennes, supranationales. En revanche, il est également prévu que les Etats peuvent, de manière libre, augmenter le budget du plan Juncker à l’aide de leurs budgets nationaux. La France s’est récemment engagée à lever 8 milliards d’euros (grâce, notamment, à la Caisse des Dépôts et des Consignations et à la Banque Publique d’Investissement), l’Allemagne 15 milliards et l’Espagne 1,5 milliards. La participation des Etats membres au financement de ce plan est donc parfaitement libre et non-coordonnée. Un degré plus fort de coordination aurait pu être, par exemple, que les dirigeants européens décident ensemble d’un niveau de participation que chaque Etat allait devoir appliquer, en modulant le niveau de participation aux spécificités nationales, notamment aux marges de manœuvre budgétaires de l’Etat membre en question.

Enfin, un autre aspect à aborder est le déroulement concret du Plan Juncker. Il s’agit assez simplement de financer des projets déposés par des entités privées, sélectionnés par un comité de pilotage. Ce comité sera constitué de représentants de la BEI, de la Commission Européenne et des Etats membres de l’UE. La gestion du plan Juncker se fera donc sans ambiguïté au niveau européen, ce mode de gestion étant, rappelons le, fixé lors du Conseil Ecofin du 17 février dernier.

Le Fond Européen pour les Investissements Stratégiques se révèle donc être un plan de relance par l’investissement proposé, accepté et piloté au niveau européen. On peut peut-être regretter la non-coordination entre Etats membres quant aux contributions provenant des gouvernements nationaux. On peut penser qu’une coordination plus forte sur ce point aurait engendré un financement total plus conséquent. Surtout, une des principales critiques adressée au plan Juncker porte sur l’insuffisance du montant accordé à ce plan de relance par l’investissement.

Pour conclure, dire qu’il n’y a pas de coordination des politiques budgétaires en Europe est erroné. Cependant, la coordination pourrait être intensifiée dans le futur. C’est par un dialogue constant entre Etats membres que pourraient être trouvées les solutions permettant d’atteindre le double objectif délicat d’une politique budgétaire contra-cyclique efficace et de la soutenabilité des finances publiques.