Le gouvernement propose une réforme de l’assurance-chômage basée notamment sur une plus grande flexibilité de la durée d’indemnisation en fonction de la conjoncture du marché du travail. L’objectif est de réduire le chômage frictionnel. Quelle analyse peut-on en faire ?

Les principaux éléments de la réforme

L’idée principale de la réforme est de mieux adapter la durée d’assurance chômage. Lorsque le taux de chômage est inférieur à 9%, on assimilerait à une conjoncture plutôt favorable et auquel cas la durée d’indemnisation diminuerait de 25% avec une durée minimale de 6 mois. Ainsi, un chômeur ayant droit à 16 mois de chômage ne bénéficierait plus que de 12 mois. En revanche, dès que le taux de chômage repasse au dessus des 9%, les anciennes règles d’indemnisation s’appliquent. Notons par ailleurs que les conditions d’accès, ainsi que les montants d’indemnisation ne sont pas modifiés.

La règle des 3 I (Inciter, Informer et Indemniser)

Un bon système de chômage est caractérisé par la règle des 3 I : Inciter, indemniser, informer. 

Inciter

Il faut mettre en œuvre des mécanismes incitant les chômeurs à accepter des emplois. Pour ce faire, différentes stratégies peuvent être avancées, en jouant notamment sur le coût du non emploi supporté par le chômeur. La théorie du Job Search montre notamment que la durée de chômage frictionnel (temps durant lequel on cherche un emploi) s’écourte si l’on accroît le coût de la recherche d’emploi. Ce coût peut notamment augmenter en réduisant l’indemnisation ou la durée de recherche d’emploi. C’est sur cette idée que l’on note par exemple que la recherche d’emploi s’accélère en fin de droit. Ainsi, Marinesku et Skandalis (2021) ont analysé les demandes d’emplois de 500 000 travailleurs français durant leur période de chômage. Les résultats montrent que l’effort de recherche d’emploi (appréhendé par le nombre de candidatures envoyées) augmente de 50% en fin de droit[1]. C’est bien sur cet aspect que la réforme de l’assurance chômage joue de la manière la plus importante.

Indemniser

Tous les pays développés ont mis en place une indemnisation pour les chômeurs. Cela ne signifie pas que tous les chômeurs sont indemnisés. Ainsi, dans les pays caractérisés par une assurance chômage, il faut remplir au préalable des conditions, pour en bénéficier. Par exemple en France, il faut avoir travaillé et cotisé 6 mois pour bénéficier d’une indemnité en cas de chômage. Ici, le système relève d’une assurance chômage (système bismarkien) [2]. On a souvent avancé l’importance de rémunérer les chômeurs pour des questions morales. Bien entendu, cert argument est parfaitement recevable. Néanmoins, indemniser des chômeurs a également des effets économiques :

  • Des effets positifs : l’indemnité permet de maintenir une consommation en période de chômage et freine ainsi la récession économique. On dit que l’allocation chômage joue le rôle de « stabilisateur automatique ». Cette allocation permet également au chômeur de lui donner les moyens de chercher un emploi dans de bonnes conditions, mieux adapté à ses compétences.
  • Des effets négatifs : Il est également mis en avant que des indemnités trop généreuses tendent à accroitre le salaire de réservation du chômeur (salaire pour lequel le chômeur accepte un emploi). En d’autres termes, le chômeur risque de prendre plus de temps pour accepter un emploi, jugeant le salaire trop faible. Ces indemnités peuvent conduire les chômeurs dans des trappes à inactivité. 

Informer

Enfin, il est important de prendre en considération que le marché du travail est un marché imparfait. L’ imperfection s’appréhende par le fait que l’information est loin d’être parfaite (dans le sens gratuite et intégralement disponible). En effet, lorsqu’un chômeur recherche un emploi, il faut du temps pour accéder à l’ensemble des offres, des caractéristiques des emplois, des possibilités d’évolution qu’offre le métier etc. Sans compter les difficultés à avoir des informations dans les autres régions, le temps nécessaire pour déménager…

C’est pourquoi, le chômage frictionnel, c’est-à-dire le fait de prendre du temps pour scruter le marché du travail, est dans ce cas un comportement rationnel. Accroitre la vitesse de diffusion des informations auprès des chômeurs en leur proposant rapidement des emplois adaptés, en le réorientant si nécessaire (en les formant si besoin) est un élément important de réduction du chômage frictionnel.

Jongler sur les I en fonction du cycle économique

Ces trois I sont complémentaires. Le fait d’en retirer un réduit considérablement l’efficacité du système :

  • Indemniser et informer, sans inciter risque de produire uniquement du chômage de longue durée. Le chômeur n’ayant aucune raison d’accepter un emploi
  • Inciter et indemniser sans informer : là encore le chômeur n’ayant pas d’information sur les offres d’emploi disponibles ne pourra obtenir un emploi
  • Inciter et informer sans indemniser : Le chômeur accepterait n’importe quel emploi et on risque simplement d’arriver à une inadéquation entre les compétences et les postes pourvus, source de grande inefficacité économique.

Il faut par ailleurs ajouter que l’on peut prioriser ces 3 I en fonction du cycle économique. Ainsi, il est parfaitement inutile d’accentuer l’incitation à accepter un emploi (par exemple en réduisant fortement les allocations) lorsque la situation économique est mauvaise. Dans ce cas, il est surement plus pertinent d’indemniser les chômeurs pour éviter une trop forte récession.

En revanche, l’incitation sera davantage prioritaire en haut de cycle économique (durant les phases de manque de main d’œuvre), et l’indemnisation (ou la durée d’indemnisation) de moindre importance.

En ce sens, la réforme entreprise par le gouvernement semble cohérente avec le fonctionnement du marché du travail. Nous sommes actuellement dans une phase de manque de main d’œuvre importante, il convient d’actionner davantage le levier « Incitation ». Ajoutons que si l’offre de travail s’ajustait davantage à la demande de travail, on pourrait sans doute freiner la croissance future de l’inflation issue d’une faiblesse de production, notamment à cause du manque de main d’œuvre. 

Le problème de l’uniformité de la règle

Néanmoins, la réforme soulève des questionnements importants pouvant limiter les effets bénéfiques de la réforme de l’assurance chômage.  La règle d’indemnisation s’applique de manière uniforme à tous les chômeurs sans tenir compte des caractéristiques individuelles de chacun (âge, lieu, métiers…). 

L’âge

Nous savons que le taux de chômage des jeunes est 3 fois plus élevé que le taux de chômage moyen (16,5% pour les 15-24 ans en T2-2022 selon le dernier chiffre INSEE). Ainsi, bien que le taux de chômag des jeunes soit bien supérieur à la fameuse barrière des 9%, pour eux, la réduction de 25% des indemnités peut parfaitement être perçue comme une sanction injuste par rapport au reste de la population. Concernant les séniors, on sait que leur taux de chômage est bien inférieur à 9% (5,3 % pour les 50 ans ou plus en T2-2022, selon le dernier chiffre INSEE). Néanmoins la probabilité pour les séniors de trouver un emploi lorsqu’ils sont au chômage est la plus faible de toutes les autres catégories d’âge (voir Insee, ou DG Trésor).

La région

Les taux de chômage sont loin d’être uniformes sur le territoire français. Par exemple, au premier trimestre 2022, le taux de chômage dans les Pyrénées-Orientales était de 11,7% tandis que dans le Cantal, il s’élève à 3,9% (source : INSEE). Il semble évident que ne pas prendre en compte ces spécificités régionales conduisent à une inégalité de traitement extrêmement élevée entre les régions.

Les métiers.

On peut souligner que tous les secteurs d’emploi ne sont pas touchés par le même taux de chômage. Ainsi, certains secteurs seraient en tension (on peut penser actuellement à la restauration) et d’autres moins demandeurs d’emplois, par exemple, le métier d’imprimeur. Nous savons que les réorientations sont difficiles à entreprendre. Ainsi, une personne sans emploi dans un secteur très touché par le chômage aura plus de difficultés à trouver un emploi. La réforme peut alors paraître injuste pour ce chômeur. Néanmoins, cet aspect est sans doute à relativiser. En effet, plus de 70% des demandeurs d’emplois ont au plus le Bac. C’est le manque de compétences qui est à l’origine de leur taux de chômage. Ils peuvent alors s’orienter vers les secteurs en tension, nécessitant peu de compétences, ou éventuellement se former pour obtenir le minimum de compétences nécessaires. 

Davantage de politiques actives et prises en compte des caractéristiques individuelles

Pour conclure, il ne semble pas incongru que le gouvernement tienne compte des caractéristiques du marché du travail pour ajuster le système d’assurance chômage. Néanmoins, il ne doit pas oublier les autres aspects nécessaires au bon fonctionnement de ce système. Et en particulier, à un meilleur accompagnement des chômeurs, tel qu’il est pratiqué par exemple dans les pays du Nord de l’Europe. Cela se concrétise par une prise en charge des chômeurs bien plus précoce, afin de les orienter vers des métiers en tension. La France reste encore trop faible en termes de politiques actives du marché du travail. Mais il semble qu’elle soit consciente de cette faiblesse. Des dépenses importantes dans la formation des chômeurs sont programmées. 

Enfin, la réforme vise à mieux s’adapter au marché du travail. Dont acte. Mais le marché du travail n’est pas un marché homogène. De nombreux éléments affectent la durée du chômage, malheureusement il semble que la réforme n’en tienne pas compte. Elle s’est contentée d’être plus flexible en fonction du marché, mais demeure très rigide en fonction des caractéristiques de chômeurs. C’est sans doute sa plus grande faiblesse. 

Références bibliographiques 


[1] Ce résultat est également obtenu présenté par Caduc et Carcillo (2014) dans leur ouvrage, sur données américaines. 

[2] Les pays anglosaxons (Royaume-Uni ou Etat-Unis), le système est une assistance chômage, appelé système béveridgien, où le fait d’être au chômage permet de bénéficier d’une allocation.